« Le vent se lève !... Il faut tenter de vivre ! »
Paul Valéry, Le Cimetière marin
Quand on aime, il faut partir
.
Quitte ta femme, quitte ta maison, quitte cette montagne et puis le port. Lève les voiles, prend
ton caïque, et pars sans te retourner. Tu es parti. Mais là-bas, tiens, tu es encore le même.
Encore toi qui de toi-même est l’étranger. C’est encore toi, entouré de gens qui ne te
ressemblent pas. Qui ne parlent plus la même langue. Qui ne la parlent pas. Tu te regardes
dans la glace, Liban, et il n’y a là que le reflet de ta propre vacuité. Même aux antipodes, pour
exister, tu dois encore te boire sans soif. Tu es maintenant loin, c’est sûr. Mais loin d’où ? Tu
as tout quitté, mais il ne te restait plus rien. Tes champs ne sont plus des chants. Ils sont ce qui
demeure, ton monde invisible, ta petite musique intérieure. Tant qu’on aime, il faut partir. Va,
vis, deviens, ne te retourne pas. « Quitte ta femme, quitte ton enfant. Quitte ton ami, quitte ton
amie. Quitte ton amante, quitte tonamant. » Ton pays est le mien, on le portera ensemble. Ton
pays et le mien, on les portera ensemble.
Après? Après, on pourra toujours détourner l’Emmanuel : se poser la question de l’identité
libanaise, c’est déjà l’avoir perdue.Mais c’est encore s’y tenir, sans quoi, on ne se la poserait
pas. Entre ce déjà et cet encore se dessinent les confins du globe, cette limite tendue comme
une corderaide sur laquelle s’aventure, se fait peur et danse avec ici plus, là moins de bonheur
chaque Libanais qui largue les amarres.
Anthony Karam
0 comments:
Post a Comment