Sunday, November 11, 2012

Loin d'où?


« Le vent se lève !... Il faut tenter de vivre ! »
Paul Valéry, Le Cimetière marin 


Quand on aime, il faut partir

Quitte ta femme, quitte ta maison, quitte cette montagne et puis le port. Lève les voiles, prend 

ton caïque, et pars sans te retourner. Tu es parti. Mais là-bas, tiens, tu es encore le même. 

Encore toi qui de toi-même est l’étranger. C’est encore toi, entouré de gens qui ne te 

ressemblent pas. Qui ne parlent plus la même langue. Qui ne la parlent pas. Tu te regardes 

dans la glace, Liban, et il n’y a là que le reflet de ta propre vacuité. Même aux antipodes, pour 

exister, tu dois encore te boire sans soif. Tu es maintenant loin, c’est sûr. Mais loin d’où ? Tu 

as tout quitté, mais il ne te restait plus rien. Tes champs ne sont plus des chants. Ils sont ce qui 

demeure, ton monde invisible, ta petite musique intérieure. Tant qu’on aime, il faut partir. Va, 

vis, deviens, ne te retourne pas. « Quitte ta femme, quitte ton enfant. Quitte ton ami, quitte ton 

amie. Quitte ton amante, quitte tonamant. » Ton pays est le mien, on le portera ensemble. Ton 

pays et le mien, on les portera ensemble. 



Après? Après, on pourra toujours détourner l’Emmanuel : se poser la question de l’identité 

libanaise, c’est déjà l’avoir perdue.Mais c’est encore s’y tenir, sans quoi, on ne se la poserait 

pas. Entre ce déjà et cet encore se dessinent les confins du globe, cette limite tendue comme 

une corderaide sur laquelle s’aventure, se fait peur et danse avec ici plus, là moins de bonheur 

chaque Libanais qui largue les amarres.

Anthony Karam

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