Tuesday, January 1, 2013
Sunday, December 16, 2012
Tuesday, December 4, 2012
Sunday, November 11, 2012
Tante Anna
Tante Anna, Ava Gardner, la Samsonite Shwayder Brothers 1910, Beyrouths multiples et cette furieuse propension à l’exildans le marc d’un turc café amer.
Un rayon de lumière fendit l’espace à l’instant où elle
posa le talon sur le débarcadère. Organza vert tilleul sous un lourd manteau de
zibeline gris de maure, elle avait trouvé cette robe chez Najjar Frères
dans les vieux souks d’Alep. Les effluves de senteurs vaporeuses de la boutique
adjacente tressaient encore inlassablement les mailles de son textile. Les
joues rosies d’une si fiévreuse, d’une si furieuse folie des grandeurs, elle
posait le pied sur un quai embué d’une foule épuisée par ses lendemains de périples.
L’Oceania venait d’accoster
sur un ilot de quelques seize hectares d’espoir. La scène se passe à Ellis
Island sous les jupons rigides d’une autre robe, celle d’une dame de métal
dénommée Liberty. Débarquée de sa Palestine natale, ma tante Anna vouait une
passion secrète pour Gustave Flaubert, raffolait de passementerie damascène et
tenait en grippe un certain Lamartine qui quelques années auparavant avait
grossièrement dépeint sa terre, son Orient. Par vengeance ou pure impudence, cette
effrontée d’un siècle naissant pris la folle décision d’inventer sa vie, de vivre
son Voyage en Occident.
Un rayon de lumière new yorkaise fendit l’espace à
l’instant où ma tante Anna posa sa valise sur les poussières matinales de ce
débarcadère d’un mardi 13 avril 1815. Une Ṣamsonite Shwayder Brothers trouvée dans
les souks de Jérusalem chez Abraham Safarian quelques mois avant son départ
pour les Amériques. Une Samsonite brune et fière de son teint fauve qui
hérissait son anse dès qu’un inconscient osa prononcer son nom avec le Ṣad arabe. Ce fier et noble bagage était
en effet natif de Denver Colorado. Il avait lui-même traversé les continents en
1905 au poignet d’un juif marchand de pierres.
Un rayon de lumière d’octobre fendit l’espace de mon
appartement beyrouthin à l’instant où ma tante Anna posait le pied sur le débarcadère
de ses Amériques et où je m’apprêtais à reprendre une gorgée de mon turc de
café. Aux pieds de mon bureau, la Shwayder Brothers est toujours là. Digne legs
de ce départ premier de ce voyage originel, péché de tous mes exils, ce cuir porte en lui le prélude de tous les recommencements. Sur sa peau aujourd’hui
ridée, les stigmates du temps. Lanière indolente, monture de voyages
improbables, contenant d’exils, elle porte sur son flanc gauche les cicatrices
de voyages innombrables. Air France, Air Canada, Middle East Airlines, des
tatouages indélébiles traces de périples sans fin, butins d’une mémoire indéfectible.
Elle se souvient encore d’un matin de Chypre 1984 lorsque ma famille fut sommée
de fuir un Liban trop occupé à mourir ou encore d’un Londres Buenos Aires 1939
lorsque par discrimination – l’âge la taxait de quelques rondeurs – elle fut obligée
de voyager en soute, supportant tout au long du trajet les plaintes incessantes
d’une Vuitton trop entichée d’appartenir à Clémentine Churchill, épouse d’un
britannique de ministre.
Un rayon de lumière fendit l’espace et le temps au moment
ou à mon tour, je m’apprêtais à partir à nouveau poser le talon sur l’embarcadère
des eternels départs, mon poignet gauche cousu à l’anse de ma Samsonite, ma
main gauche, dans celle de ma tante Anna. A mon oreille, ces quelques mots susurrés :
« Ava Gardner a pose son pied sur la Lune ».
Nasri Sayegh
Le prisonnier voyageur
Le Libanais voyage-t-il ?
Le Libanais émigre.
Privé de toutes perspectives d'avenir par les politiciens affairistes et les chefs de sectes
dans un pays où la qualité de vie régresse, ceux qui n'ont pas grand chose à perdre quittent
le navire phénicien à la première occasion. Ça nous fait une belle diaspora et pas mal
d'appartements vides et de villas moches qui attendent d'êtreremplies aux prochaines
vacances.
Le Libanais va gagner de l'argent dans le Golfe, en Chine ou en Afrique.
À défaut de trouver de quoi gagner sa croûte chez soi, on va besogner chez les autres, à des
adresses peu glorieuses. Ça nous fait encore plus d'appartementsvides et de villas moches
qui attendent d'être remplies aux prochaines vacances.
Le Libanais va faire du tourisme en Turquie.
Pas cher. Pas besoin de visa. Histoire de se rendre compte que dans l'ex-empire ottoman, il
y en a qui ont mieux réussi que nous. Parfois, il s'y marie civilement, quand il ne va pas
chez le voisin chypriote, à défaut de pouvoir lefaire chez lui.
Le Libanais va faire acte de présence administrative au Canada, en Angleterre ouen France.
On ne va quand même pas reprocher au Libanais d'investir dans une autre nationalité, vu
notre réputation internationale largement ternie (vendeur de voiture, terroriste, milicien,
boutiquier louche, fabricant de hommous, héritier inapte, barbu hurleur, trafiquant, sans
oublier les qualificatifs qui lui collent àsa peau d'Arabe).
Le Libanais va en pèlerinage à la Mecque, à Jérusalem, au Vatican ouen Bosnie.
Pour beaucoup, c'est le seul voyage qu'il feront dans leur vie. Ces gens hélas croient aux
contes égrainés par les administrateurs cléricaux des monothéismes. Ils investissent toutes
leurs économies pour aller tourner autour d'un cailloux, embrasser un mur ou voir un
vieillard habillé en blanc qui tient une grande crosse. Quand ils vont en Bosnie, c'est pour
pouvoir baiser tranquillement avant lemariage en faisant plaisir à leur future belle-mère.
Le Libanais va discuter avec son conseiller en placement financier à Genève ou à Londres.
Mais ça, c'est réservé aux gros calibres, aux gens qui ont une stratégieinternationale
d'investissement. Ils ne sont pas libanais. Ils sont juste très riches.
Le Libanais participe à des biennales et à des festivals à travers lemonde entier.
Souvent rejeton d'une bonne famille ou descendant d'intellectuels de gauche, l'artiste
contemporain libanais, quel que soit son média d'expression, se fait inviter à l'étranger et est
la preuve vivante que nous ne sommes pas tous des barbus fanatiques ou des vendeurs de
tapis. Ces voyages sont une pause bienvenue entredeux bières au Torino ou deux cafés au
Demo.
Le Libanais va plus rarement à la chasse au Kenya ou en Tanzanie avec sesamis du Golfe.
Surtout depuis que Rafic Hariri est mort. Mais il arrive encore au Libanais d'allertaquiner
l'ours ou le loup en Sibérie. Il doit alors s'habiller chaudement.
Le Libanais prend donc l'avion. Mais le Libanais ne voyage pas. Car le Libanais n'est pas
transformé par sa rencontre avec l'autre et l'ailleurs. Le Libanais est toujours égal à lui-même,
où qu'il soit et en toutes circonstance. Le Libanais est, surtout et avant tout, libanais. En
particulier dans ses gesticulations à bord de l'avion. Le Libanais ne fait que de se déplacer
pour se distraire, gagner de l'argent ou essayer de respirer un peu d'air frais hors de ces
10'452 km carrés dans lesquels il est de plus en plus à l'étroit et mal loti. En fait, il se déplace
même beaucoup au-delà des frontières nationales.Le Libanais est un aventurier.
Quand il est loin du Liban.
* * * *
Le Libanais chez lui
Le Libanais, au Liban, n'est ni un voyageur, ni un aventurier. Il connaît rarement son pays,
pourtant pas si grand. Sauf le chemin qui le conduit à son village d'origine, au restaurant à la
mode ou à la plage privatisée. Etencore, seulement le chemin en voiture.
Il connaît encore moins ses habitants. Il ne connaît pas les autres Libanais pas libanais comme
lui - des sunnites, des chiites, des druzes, des maronites, des orthodoxes, des arméniens
(etc.) ou des syriaques. Il ne connaît pas les autres arabes comme lui qui travaillent ou végètent
au Liban : ouvriers syriens, pompistes égyptien, réfugiés palestiniens, propriétaires du Golfe. Il
connaît encore moins les autres humains avec qui il partage son intimité au quotidien :
employés malgaches, éthiopiens, nigérians, sri-lankais, bangladais, philippins. Le Libanais est
un prisonnier volontaire qui ne semélange pas avec les autres prisonniers qu'il ne connaît pas.
Le Libanais peine surtout à sortir de son groupe d'origine, de son clan, de sa tribu, de sa
confession, de son rang social. Il est incapable de voyager chez lui. Ça l'emmerde. L'aventure,
il laisse ça aux autres. À son employée de maison érythréenne, par exemple. Tiens ! Il va
l'envoyer aller acheter destomates de l'autre côté de la rue. Là où il n'a jamais mis les pieds.
Alexandre Medawar
http://on-the-battlefield.blogspot.com/2012/11/le-prisonnier-voyageur.html
Love Hate
Lebanon… The expression “Love Hate” was probably conceived bysomeone from this
wonderfully frustrating place.
wonderfully frustrating place.
It sometimes baffles me how the happiest moments are when you get on a plane to leave and
at the same time when you hear “Ahlan Aini” as you get back on an MEA flight. You know MEA
is a rip off and it marks areturn to insanity, yet you somehow feel comfortable about it.
A land of such wasted potential, stuck in the backward waters of sectarianism masking
tribalism, still a land where anything is possible and everything impossible for the wrong
reasons. I refuse to quit on youmy little space on this earth. I continue to live in hope.
Mazen Hajjar
Beauty Case
C’était décidé. Elle partait. Paris. Avec les enfants. Lui, qui refusait de perdre son optimisme,
restait. A l’aube, une vieille Mercedes et son conducteur arménien boiteux les attendaient. Il
fallait sortir de la ville par le Sud, longer l’aéroport fermé, prendre des chemins de traverse en
montagne, esquiver les dangers. Atteindre la Bekaa, puis la frontière. Chaleur infernale, attente
interminable. Le pays tout entier se vidait en ce point précis. A Damas, elle a peiné pour
trouver une chambre décente. Le lendemain, la correspondance à Munich avait un parfum de
Paradis. Les enfants exultaient. Elle leur a offert des glaces au chocolat et des crayons de
couleur. A l’embarquement du vol d’Air France, elle se rendit compte que, dans l’euphorie
libératrice, elle avait égaré sa « beauty case » Samsonite qui contenait ses bijoux, l’argent, les
traveler’s chèques, billetsd’avion et passeports.
restait. A l’aube, une vieille Mercedes et son conducteur arménien boiteux les attendaient. Il
fallait sortir de la ville par le Sud, longer l’aéroport fermé, prendre des chemins de traverse en
montagne, esquiver les dangers. Atteindre la Bekaa, puis la frontière. Chaleur infernale, attente
interminable. Le pays tout entier se vidait en ce point précis. A Damas, elle a peiné pour
trouver une chambre décente. Le lendemain, la correspondance à Munich avait un parfum de
Paradis. Les enfants exultaient. Elle leur a offert des glaces au chocolat et des crayons de
couleur. A l’embarquement du vol d’Air France, elle se rendit compte que, dans l’euphorie
libératrice, elle avait égaré sa « beauty case » Samsonite qui contenait ses bijoux, l’argent, les
traveler’s chèques, billetsd’avion et passeports.
Gregory Buchakjian
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